La notion de mystique sauvage, abordée à travers les travaux récents de Michel Hulin, offre un instrument d’approche adéquat pour rendre compte des expériences de dilatation de la conscience qui traversent les textes narratifs de Camus : elle permet de replacer l’écriture camusienne sous l’horizon des variations offertes par les romanciers et poètes du XXe siècle sur le thème du sentiment océanique que désignait déjà, en marge des traditions religieuses, la lettre à Freud de Romain Rolland en 1927. Le soulèvement lyrique de la prose narrative est examiné à la lumière de la tension féconde entre la dynamique du récit et le miracle instantané de l’infusion du numineux dans le langage. L’écrivain interroge le sens du sacré qu’il reconnaît en lui. Sii les ravissements spontanés qu’il évoque ouvrent sur la sérénité du lâcher-prise et sur la suspension de la préférence affective vers laquelle fait signe la mystique dite sauvage, l’état de tension entre le oui et le non qui résiste à cette pente semble bien indiquer une résistance passionnée de la personne à se propre dissolution.