Gerson et la vérité dogmatique des visions : quel discernement ? - Université d'Angers Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2021

Gerson et la vérité dogmatique des visions : quel discernement ?

Résumé

Dans le Livre des Nombres déjà, Yahvé laisse entrevoir qu'il se révèle à ses prophètes par des visions 1 mais qu'il parle à Moïse « face à face, dans l'évidence, non en énigmes » (Nb, 12,6) Selon les Actes des Apôtres, 7,55, Étienne, juste avant sa lapidation, voit le Christ : « Tout rempli de l'Esprit Saint, il fixa son regard vers le ciel ; il vit alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. Ah ! dit-il, je vois les cieux ouverts et le Fils de l'homme debout à la droite de Dieu ». L'Antiquité chrétienne abondera de visions littéraires, visions prémonitoires, visions politiques comme celle de Constantin, d'apparitions du diable, en particulier dans les Vitae Patrum, ou de visions de l'au-delà. Dans le De Genesi ad litteram, livre XII, saint Augustin expose une division tripartite des visions, entre la vision corporelle, celle des yeux du corps, la vision spirituelle, imaginative, et la vision intellectuelle, seule à donner la signification des deux précédentes et infaillible : intellectualis autem visio non fallitur (XII, 14). L'intelligence, qui possède son objet par le regard qu'elle tourne vers lui, serait ainsi l'oeil de l'âme. La question théologique commune à toutes ces visions est de savoir si, dès ici-bas, il est possible de voir intuitivement l'essence divine. Le Moyen Âge se caractérise lui par le nombre considérable de visionnaires, en particulier féminines : entre Elisabeth de Schönau, du XII e siècle, et Margery Kempe du XV e , on compte quantité de saintes visionnaires, Hildegarde de Bingen, Gertrude d'Helfta, Angèle de Foligno, Catherine de Sienne ou Catherine de Gênes. Leurs visions sont souvent des visions de la Passion du Christ ou des visions eucharistiques. Du milieu du XIV e au milieu du XV e siècle, le prophétisme féminin, surtout laïque, est lié à une crise institutionnelle majeure, celle du Grand Schisme et de la Papauté à Avignon. Les visions féminines possèdent dès lors de facto un poids politique ou théologique qui impose à l'institution de les prendre en compte. La prise de parole des visionnaires, qui se réclament d'un libre choix divin, est extraordinaire en ce qu'elle s'impose aux clercs eux-mêmes et inverse le rapport d'autorité, faisant des confesseurs ou directeurs les secrétaires et porte-paroles des visionnaires. Ainsi le Concile de Bâle mettra-t-il à son ordre du jour l'examen de la validité des révélations de sainte Brigitte, que le prieur de l'abbaye d'Alvastra, Peter Olofsson, avait traduites en latin. Dès 1343, Brigitte avait commencé à publier ses visions d'une urgente nécessité du retour de la Papauté à Rome et de l'indispensable réforme de la hiérarchie de l'Église et de ses membres. Les répercussions politiques et théologiques étaient telles qu'elles imposaient à l'institution de se pencher sur l'épineuse question du discernement des esprits ou discretio spirituum. L'ambivalence radicale de toute révélation est en effet patente dès les origines du christianisme, Jean écrivant dans sa Première Épître, 4,1-3 : « Ne vous fiez pas à tout esprit, mais éprouvez les esprits pour voir s'ils viennent de Dieu, car beaucoup de faux prophètes sont venus dans le monde. À ceci reconnaissez l'esprit de Dieu : tout esprit qui confesse Jésus Christ venu dans la chair est de Dieu ; et tout esprit qui ne confesse pas Jésus n'est pas de Dieu ». Si elle est opérante au I er siècle, cette distinction apparemment simple ne vaut plus à la fin du Moyen Âge puisque toutes les visions se revendiquent du Christ. Le théologien le plus éclairant sur cette question du discernement des visions est sans conteste Jean Gerson. Le Chancelier de l'Université de Paris a en effet participé aux conciles liés à ces questions et à celles du Schisme et consacré à ce thème, entre autres, trois ouvrages, qui constitueront la majeure partie de notre corpus : le De discretione spirituum, de 1401, le De probatione spirituum, du 3 août 1415, et le De examinatione doctrinarum de 1423. Nous nous pencherons donc successivement sur la théologie de Gerson en matière de discernement, puis sur les méthodes concrètes qu'il propose pour procéder au discernement, avant d'illustrer sa pensée par ses prises de position connues sur des cas contemporains.
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Dates et versions

hal-03354487 , version 1 (27-09-2021)

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Citer

Elisabeth Pinto-Mathieu. Gerson et la vérité dogmatique des visions : quel discernement ?. Véronique Ferrer, Marie-Christine Gomez-Géraud, Jean-René Valette. Le discours mystique entre Moyen Age et première modernité, tome III, https://www.honorechampion.com/fr/12398-book-08535597-9782745355973.html, pp.418-431, 2021, 9782745355973. ⟨hal-03354487⟩
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