De la plainte au discours dans la poésie d’Emily Dickinson
Résumé
Considérant sans cesse, derrière l’opacité des choses, « la Vie Là-bas – derrière l’Etagère » (« And Life is over there – / Behind the Shelf » : poème 640), la poésie d’Emily Dickinson construit une rhétorique de la marge qui, loin d’enfermer dans un particularisme, permet l’accès à l’universel. Le recours à deux figures récurrentes, le chiasme et l’oxymore, permet de refléter le sujet dans les rapports complexes et ambigus qu’il entretient avec lui-même, tout en éclairant son centre élusif et ses marges instables. Dans une forme fort simple en apparence, cette poésie annonce l’entreprise ricoeurienne, qui consiste à considérer « soi-même comme un autre ». Dickinson a su jouer des ressorts d’une écriture palimpseste afin de créer de nouveaux modèles identitaires littéraires, passant ainsi « de la plainte au discours » – « de la phônè au logos », selon l’expression de Jacques Rancière. En ce sens, son écriture a ouvert la voie à celle, parfois plus théorique, mais aussi plus explicitement féministe, des écrivaines des XXe et XXIe siècles.